A partir des années 60, de plus en plus d’artistes contemporains cherchent à témoigner de leur compréhension ou de leur expérience du sublime. Ils vont peu à peu renouveler les codes consacrés de l’art sacré.
Moderniser l’image, questionner le récit dans l’art sacré
Dès le début du XXème siècle, de très nombreux réalisateurs abordent des thématiques bibliques dans leurs films. La plupart du temps, ils privilégient l’angle de la reconstitution historique, souvent romancée, comme dans Les 10 commandements de Cécil B. DeMille (1923,1956). Certains reprennent parfois le texte original comme Pasolini en 64 avec L’évangile selon Saint Matthieu. Mais à partir des années 70, les artistes commencent à poser un autre regard sur la vie du Christ, essayant plutôt de questionner le récit ou de relire l’iconographie. En général, ces œuvres réalistes, trop personnelles, déclenchent la critique de l’Eglise et des fidèles. On citera, à titre d’exemples, La dernière tentation du Christ de Martin Scorsese en 88, La Passion du Christ de Mel Gibson en 2004, l’exposition I.N.R.I de la photographe Bettina Rheims en 98 ou encore celle de David La Chapelle, American Jesus, en 2010. D’autres artistes tentent de moderniser l’image ou l’histoire. C’est le cas de l’opéra rock Jesus Christ superstar adapté au cinéma en 73 par Andrew Lloyd Webber et Tim Rice, des Béatitutes photographiées dans les favelas de Rio par François Rousseau en 2005 ou encore de la statue du Christ SDF, Homeless Christ de Timothy Schmalz, bénie par le pape François en 2016 après avoir été interdite aux USA. Dans un registre plus formel, on citera les œuvres de l’exposition de Bill Viola The passions dans les années 2000, qui s’inspirent de tableaux célèbres en les ramenant à la vie ou encore en 2015, le film plasticien d’Andy Guérif, La Maestà, qui remet en scène le polyptyque de la passion du Christ du peintre Duccio.
Confronter aux Mystères
Ne s’arrêtant pas à simplement questionner l’iconographie classique ou le récit, certains contemporains prennent le relais d’artistes modernes abstraits comme Kandisky, Mondrian, Malevitch ou Klee dont les recherches furent influencées par l’Inde et le Tibet. Dès la fin des années 60, ils mènent une réflexion sur la représentation du sublime et le rôle spirituel de l’art comme expérience métaphysique. Des plasticiens comme Newman, Klein, Fontana ou Rothko expérimentent à cet effet la couleur. D’autres font appel dans leurs installations à des effets visuels et sonores, jouant sur la perception et les sens, pour amener par la contemplation à un état de conscience modifié. Dès lors, ce ne sont plus les thèmes mettant en avant la souffrance de l’homme qui erre et lutte contre lui-même dans les ténèbres qui se retrouvent mis en avant, mais ceux témoignant de l’élévation et de la Lumière.
Bill Viola place au cœur de tout son travail la symbolique sacrée, en particulier celle de l’eau comme dans la vidéo Tristan’s Ascension en 2005. D’autres plasticiens comme James Turell, Doug Wheeler ou plus récemment Olafur Eliasson, s’appuient sur ce qui caractérise depuis toujours la présence du sacré. Jouant sur la relation de la lumière avec l’espace et la couleur, leurs installations opèrent comme une expérience du sensible et de l’univers. Pour ne citer que quelques-unes, on retiendra dès la fin des années 60 les Shallow spaces ou les Sky spaces de Turell ; Beauty en 93, The Weather Project en 2003 ou Contact en 2015 d’Eliasson. Ou bien encore, certaines créations comme Blind light en 2007 d’Anthony Gormley, Contempling the sublime en 2011 d’Angus Massey, la série des Lighting fields en 2009 du photographe Hiroshi Sugimoto, les œuvres digitales du designer Matt Pyke en 2011, Transfiguration ou Supreme believers…
Faire sens avec les lieux sacrés, sacraliser l’espace profane
Si, dès les années 80, beaucoup d’artistes exposent dans des lieux de cultes des œuvres profanes, seul un petit nombre cherche à faire véritablement sens avec l’espace sacré. Quelques créations magistrales retiennent pourtant l’attention. C’est le cas, par exemple, de l’installation monumentale de Bill Viola The Crossing au Palais des Papes d’Avignon en 2000, amenant le spectateur à célébrer symboliquement son baptême d’eau et de feu ; ou de son polyptique Martyrs dans la cathédrale St Paul à Londres en 2014, conçu comme un objet de dévotion et de contemplation. Ou bien encore, de l’installation Via Dolorosa de Mark Wallinger dans la crypte du Duomo à Milan en 2005, qui cache en grande partie la projection du film de Zeffirelli, Jésus de Nazareth, pour que le spectateur s’interroge et se recréé intérieurement sa propre vision de la Passion.
Afin de nous faire ressentir la présence d’une autre dimension en dehors de toute institution religieuse, certains artistes cherchent également à sacraliser des espaces profanes. Wolfgang Laib, en 2014, avec From knowed to the unknowed, nous invite à traverser sa chambre de cire réalisée à la Ribaute ou nous embarque en 2015 vers la Zikkurat dans l’atrium du musée des Beaux Arts de Lille – chaque fois, pour nous amener à l’inconnaissable. Anish Kapoor, en 2011, pour son exposition Monumenta, nous plonge dans le silence et la contemplation. A l’intérieur d’une œuvre cathédrale rouge sang, il nous fait, tel un maître verrier, éprouver la lumière qui fait vibrer la couleur. Tokujin Yoshioka, dans plusieurs expositions dès 2010, nous place face à sa Rainbow Church, une installation de 500 prismes de cristal de 12 mètres de haut, dont l’intensité lumineuse nous transperce et nous dissout peu à peu.
C’est ainsi que, peu à peu, de grands artistes contemporains en reviennent aux fondamentaux de l’art sacré pour amener au Sublime. En privilégiant l’intuition et le langage symbolique, ils oeuvrent à faire renaître l’esprit de contemplation.