L’arbre depuis toujours initie l’homme aux mystères de la vie. Dans l’art sacré, son symbolisme lui dévoile comment accomplir sa destinée.
Arbre et homme, une commune destinée
Les forêts brûlent, se meurent ou sont massivement dévastées. Face au désastre environnemental, chacun prend conscience de ce qu’il avait depuis longtemps oublié : arbre et homme partagent une commune destinée. De très nombreux artistes nous le rappellent ces dernières années (Giuseppe Penone, Fabrice Hyber, Jaume Plensa, Javier Perez, Sebastiao Salgado, Bae Bien-U…). Le monde occidental redécouvre les traditions de peuples premiers vivant en harmonie avec la nature alors que la science nous parle d’une « intelligence végétale » chez lui. Peu à peu, le regard que l’homme moderne porte sur l’arbre comme sa relation à lui évoluent. Des livres à succès tels La vie secrète des arbres de Peter Wohlleben ou Le journal intime d’un arbre de Didier Van Cauwelaert en témoignent.
L’arbre, l’un des plus anciens organismes vivant sur la planète, protège l’homme et le nourrit depuis l’origine. Mais il l’aide aussi à comprendre le monde et les lois sacrées qui l’animent. Il apporte des réponses aux grandes questions existentielles qu’il peut se poser. C’est pourquoi, l’arbre, dont le symbolisme est d’une extrême richesse, occupe une place centrale dans l’art de très nombreuses traditions spirituelles. Parfois, certains peuples lui vouent de même un culte, considérant qu’il est habité par des dieux (ex : l’arbre sacré dans l’hindouisme et le bouddhisme). Mais, comme le précise l’historien des religions Mircea Eliade, « on ne le vénère jamais pour lui-même, uniquement pour ce qui se révèle à travers lui ». Dans l’art sacré, lorsque homme et arbre ne font qu’un, c’est pour mieux nous initier par analogie aux mystères de la vie.
L’arbre cosmique, image du cosmos et axe du monde
Si l’arbre permet d’exprimer par l’image de très nombreuses idées, il symbolise avant tout le cosmos vivant se régénérant continuellement. De grandes civilisations s’en inspirent pour dépeindre le récit de leurs origines. Cet arbre dit cosmique illustre alors une vision du monde. Dans l’Egypte ancienne, ses racines représentent le monde souterrain ; son tronc et ses branches, le monde visible ; les mystères cachés en son centre, sa graine ou sa sève, le monde invisible. La mythologie viking nomme cet arbre cosmique Yggdrasil. Elle associe les 3 racines de ce frêne majestueux aux 3 régions du monde souterrain ; son tronc à la terre du milieu – séjour des mortels – et ses branches au moyen de s’élever jusqu’à Asgard, le monde des dieux. L’arbre cosmique se place souvent au centre du monde qu’il soutient comme l’if dans la mythologie celtique ou le kapokier du monde maya.
En pilier ou poteau, il officie tel un axe cosmique qui relie et fait circuler l’énergie serpentine entre les mondes d’en haut et d’en bas. Un principe universel remontant au 3ème ou 4ème millénaire avant J.-C. sur lequel repose l’architecture sacrée de la ziggourat ou de la stupa. Le caducée hermétique, l’un des plus anciens symboles connus, s’en inspire également. L’arbre axial demeure un thème rarement abordé dans l’art actuel. De nombreux peuples célèbrent néanmoins encore les forces, sources de renouveau, avec lui (ex : la danse du soleil des sioux d’Amérique autour d’un arbre sacré, les fêtes de printemps en Europe autour de l’arbre ou du mât de Mai).
L’arbre de vie, une source fertile et féconde
L’arbre est également universellement reconnu comme une source de vie. Il est souvent dépeint avec des oiseaux ou d’autres animaux qui en témoignent. Depuis des temps immémoriaux, cet arbre de vie se présente tel un symbole de fertilité et de fécondité. Son corps creux s’envisage dans certains mythes comme une matrice d’où naît l’homme ou des dieux. C’est pourquoi, l’arbre est fréquemment associé aux grandes déesses mères de la Nature vivante. Jung dans son étude Métamorphoses de l’âme et ses symboles constate que « de nombreuses divinités féminines étaient vénérées sous forme d’arbre » (ex : le figuier de la Déesse Ishtar, le palmier d’Astarté, le saule d’Hécate…). Mais, l’Eglise catholique condamne cette pratique païenne. Elle se perpétue malgré tout au travers du culte de la Vierge associée à de grands arbres (ex : les ‘’Notre-Dame du Chêne’’). De même, comme le rappelle le célèbre alchimiste Dom Pernety, « la nature de la femme () était souvent associée à l’arbre et aux différentes opérations de la transmutation ». De très nombreuses gravures alchimiques la représentent ainsi.
L’arbre peut néanmoins figurer des principes masculins par sa verticalité autant que par son germe ou sa semence qui contiennent toute l’histoire et les caractéristiques de sa lignée. De ce fait, on l’utilise souvent pour établir une filiation (ex : l’arbre des ancêtres de peuples premiers , l’arbre de Jessé dressant la lignée présumée de Jésus à partir du roi David).
Arbres multiples, arbre inversé : de grands principes sacrés
Plusieurs traditions se réfèrent non pas à un mais deux arbres qui incarnent alors des principes opposés ou complémentaires comme l’arbre de vérité et l’arbre de vie à l’entrée du ciel des anciens Babyloniens ou l’arbre de la vie éternelle et l’arbre annonciateur de la mort aux îles Hawaii… Dans la Bible, deux arbres emblématiques amènent l’homme à accomplir sa destinée : l’arbre de la connaissance du bien et du mal et l’arbre de vie. En goûtant le fruit du premier qui lui est interdit, l’homme se voit banni du jardin d’Eden où règne l’innocence. Mais parce qu’il aspire dès lors à retrouver le second au Paradis, il œuvre en cette vie afin d’y parvenir. L’arbre de vie symbolise l’unité originelle ; l’arbre de la connaissance du bien et du mal, la dualité qui règne en ce monde chuté. L’Apocalypse de Jean nous dit que cet arbre de vie nourrit et guérit toutes les nations dans le jardin de l’éternité. Une figure archétypale fréquemment abordée dans l’art sacré chrétien au Moyen Age.
L’arbre est également souvent dépeint inversé, plongeant ses racines dans le ciel afin d’irriguer la terre. Il « s’étend du haut en bas et est le soleil qui illumine tout » nous dit le Zohar. Cet arbre inversé manifeste alors la source originelle et transcendante sur laquelle toute la Création repose. Une manière de l’entrevoir évoquée dans plusieurs grands textes sacrés (la Bhagavad-Gita, les Upanishads, le Rig-Veda, le Zohar).
L’arbre et la sagesse, associés depuis toujours
L’arbre sacré écoute les hommes et parfois leurs parle tel celui qui, en Égypte et en Mésopotamie, émet des oracles par le bruissement de son feuillage. La forêt antique est un lieu de savoir et toutes les traditions premières protègent les bois sacrés considérés comme des sanctuaires. Mais le judaïsme et le catholicisme proclament païen tout culte en lien avec la nature. Dès lors, dans l’imaginaire, la forêt devient hostile, parfois même maléfique. Il faut attendre la fin du 19ème siècle pour que certains artistes l’envisagent de nouveau tel un lieu initiatique. Le thème du bois sacré redevient récurrent dans l’art même s’il reste le plus souvent idéalisé, sans réel fondement religieux (Turner, Schinckel, Böcklin, Friedrich, Puvis de Chavannes, Lautrec, Gauguin, Sérusier…).
L’arbre demeure néanmoins fréquemment associé à la sagesse dans la tradition judéo-chrétienne. Il s’entend à la fois comme un maître spirituel et un symbole d’élévation intérieure par la connaissance. Ainsi, l’arbre de la connaissance du bien et du mal permet à l’homme de se connaître et de choisir sa voie. Pour qu’il puisse pleinement l’accomplir, dans la Kabbale juive, un diagramme dénommé arbre hébraïque ou arbre des Séphiroth, se médite depuis plus de deux millénaires afin de « connaître les dix lumières qui éclairent l’intelligence ». Selon l’Evangile de Matthieu, une semence semée en l’homme – un petit grain de sénevé – doit devenir « un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent habiter dans ses branches ». L’ésotériste chrétien Jakob Böhme énonce que cet « arbre de la noble perle » qu’il associe à la sagesse ne pousse qu’avec persévérance …
L’arbre, symbole d’ascension et d’immortalité
L’arbre sacré donne accès à la Lumière. Cette ascension vers le ciel inspire toujours des artistes modernes et contemporains (Brancusi, Oliveira, Nash, Barbier…). De grands initiés dépeignent parfois de même tout ou partie du processus d’élévation qui transforme l’être et mène à la vie éternelle à l’aide de son symbolisme. Par exemple : l’arbre des langues du Mysterium Pansophicum de Böhme, l’arbre et les 4 oiseaux d’Ibn Arabi ou bien encore l’arbre philosophal qui dévoile toutes les phases du Grand-Œuvre alchimique.
Selon Mircea Eliade, parce qu’« il meurt et renaît d’innombrables fois », l’arbre symbolise pour de nombreux peuples l’immortalité. Celui qui a unis ses contraires peut ne faire éternellement plus qu’un avec la divinité. La représentation de cette union spirituelle la plus rependue dans l’Antiquité demeure celle de deux êtres vivants opposés étreignant un arbre sacré. L’union consommée, l’élu ‘’déifié’’ peut dès lors être représenté par l’arbre lui-même (ex: le Pilier de Djed, un arbre ébranché, associé à l’immortel dieu égyptien Osiris), par un arbre s’élevant du corps (ce que figure parfois l’arbre de Jessé dont le nom signifie « celui qui se tient droit ») ou bien encore par un trône vide un avec l’arbre de vie (ex : le trône vide associé au Buddha). L’Eglise catholique utilise également parfois une croix en bois verdoyante et portant des fruits. Cet arbre-croix symbolise alors la Résurrection de Jésus-Christ. Régénéré, il n’est plus arbre de mort mais arbre de vie.
Le symbolisme associé à l’arbre permet d’exprimer à lui seul les grands mystères de la vie. S’il habite de nouveau l’imaginaire, peu d’artistes occidentaux s’aventurent encore à remettre en lumière sa dimension réellement sacrée. Selon le maître du spirituel dans l’art moderne Kandinsky, une seule exigence pour y parvenir : « l’exigence de la vie intérieure » !