Face à l’union programmée de l’Homme à la machine, l’art nous amène à nous questionner. Celui qui cherche à célébrer des noces sacrées devra trouver en lui-même le sens qu’il souhaite leur donner.

 

L’union en question

 

A une époque où rencontrer l’autre se trouve à la portée d’un clic, tout ne semble pourtant pas se vivre si facilement. Si l’union des corps se vend de nos jours comme n’importe quel autre bien de consommation, beaucoup se disent insatisfaits de leurs relations. L’Homme du XXIème siècle continue d’espérer en une union idéale qui paraît de plus en plus inatteignable. Alors, pour combler la solitude et le manque, l’intelligence artificielle lui promet la solution : un compagnon ou une compagne de substitution, conforme à ce qu’il souhaite. Pendant que l’industrie du sexe développe des objets de plus en plus réalistes ou que des artistes comme Yann Minh nous propose des machines d’immersion cybersexuelle, le cinéma questionne quant à lui depuis les années 80 la possibilité d’une histoire d’amour entre l’Homme et la machine. Dans Blade Runner de Ridley Scott en 1982 ou Ex Machina d’Alex Garland en 2015, cette relation se construit dans un espace physique, en présence de l’androïde qui se perçoit, comme dans le clip de Björk, All is full of love, tel un être humain. Dans d’autres films, comme Her de Spike Jonze en 2013 ou Avatar de James Cameron en 2009, l’union s’envisage sans même le corps. En 2017, aux USA, la série à succès Westworld relance le débat. Ces machines, à l’image de celles d’Artificial Intelligence de Steven Spielberg en 2001, ne resteront-elles que des objets sexuels au service de nos fantasmes les plus secrets ou éprouverons-nous de réels sentiments pour elles ? Préfèrerons-nous nous unir à ces compagnons parfaits et contrôlables à souhait comme dans Les femmes de Stepford de Frank Oz en 2004 ou Une fiancée pas comme les autres de Craig Gillepsie en 2008 ? Vivrons-nous encore cette relation dans le corps ou seulement virtuellement ? Pour le moment, le cinéma semble davantage pencher pour une mise en garde. Cette union contre-nature pourrait rapidement s’avérer moins idéale qu’il n’y paraît…

Les noces sacrées           

En attendant, même si la relation à l’autre se redessine, beaucoup aspirent encore à sacraliser l’union. Mais en Occident, dans une société coupée du sacré, les noces se vivent avant tout comme un moment singulier qui se doit d’être aussi original que parfait. Et si, selon la tradition chrétienne, les mariés s’engagent à respecter les 4 piliers du sacrement que sont liberté de consentement, indissolubilité de l’union, fidélité des époux et fécondité, les statistiques du divorce attestent du peu de crédit que beaucoup portent au final au respect de ce pacte.

L’Homme moderne a oublié qu’avant d’être perçues comme un engagement envers un autre individu ou une institution, les noces, depuis la nuit des temps, s’entendent comme une alliance avec Dieu. Si l’Eglise catholique fait du mariage un sacrement réglementé au XIIème siècle, le désir de noces sacrées se fait lui ressentir dès l’Antiquité. De très nombreux mythes antiques content l’union d’un mortel et d’un dieu, qui prend souvent la forme d’un accouplement sexuel rituel – la hiérogamie (Zeus ayant eu à lui seul 15 unions différentes de cette nature). A partir du Moyen Age, de grandes mystiques témoignent dans leurs écrits de leurs expériences de cette quête d’amour absolu et d’union céleste qui se vit comme une extase (Hildegarde von Bingen, Marguerite Porette, Adewijch d’Anvers…). L’Alchimie fait de même souvent référence à l’union charnelle pour exprimer l’idée de l’union du fixe et du volatil, de la matière avec l’esprit. Chaque fois, la même symbolique nourrit le récit afin d’amener l’Homme à se ressouvenir. Elle nous enseigne que si l’union terrestre aide à connaître l’amour, seule l’union céleste peut permettre de retrouver sa vraie nature.

L’être intérieur aspire aux noces sacrées car il se sait incomplet et, aujourd’hui encore, des films abordent le thème des noces sous cet angle. On pense au récent The Shape of water de Guillermo del Toro en 2017 ou à Marie Madeleine de Garth Davis en 2018. Si le premier s’inscrit dans la lignée des mythes antiques, le second nous présente l’histoire de celle, depuis peu reconnue comme une apôtre, qui fit le choix de suivre Jésus-Christ. Dans les deux cas, qu’il y ait union charnelle ou pas, il s’agit avant tout, au sens symbolique, de l’âme qui reconnaît son Dieu. C’est elle qui pousse l’héroïne à voir par delà les apparences. Et, ayant reconnu celui qu’elle attendait, c’est encore elle qui aide l’élue à s’abandonner et tout sacrifier par amour, telle Psyché, pour ne faire plus qu’un avec la divinité.

Des noces fertiles 

L’union céleste porte ses fruits ; elle est fertile. Depuis toujours, la vocation de l’union demeure inchangée : elle vise à engendrer une nouvelle naissance. La Bible nous parle du fils né d’une femme qui doit devenir fils de l’Homme ; l’alchimie nous présente un vieux sage qui porte en son ventre un fœtus apporté par le vent. Pour les catholiques, cette figure s’incarne au travers de l’épouse devenue féconde par l’Esprit lors de l’Annonciation: la Vierge Marie. Seule l’union sacrée permet à l’Homme de se mettre au monde et de renaître, immortel. Comme le héros antique, il lui faut opérer sa métamorphose.

Que penser alors de l’union avec la machine, que certains nous présentent déjà comme la solution pour nous sentir bien et complet, voire, comme l’affirme le transhumanisme, pour accéder à l’immortalité ? En excluant de cette relation binaire l’agent tiers qui, dans toute science sacrée, rend fécond, l’Homme ne risque-t-il pas de célébrer au final des noces stériles ?

En Asie, certains artistes contemporains traitent déjà le sujet. Depuis 2010, les œuvres mécaniques de Wang Zi Won comme Mechanical enlightment, Buddha-Z in the steel lotus… ou bien encore Arhat Robot de Takashi Murakami en 2016 interrogent la relation entre homme et machine dans le processus qui amène à renaître à l’état de buddha : éveillé et ayant transcendé la dualité. A défaut de répondre à la question, en Occident, d’autres artistes contemporains se réapproprient depuis de nombreuses années le thème de la maternité sacrée. Alors que les hommes comme Damien Hirst dissèquent violemment la chair dans leurs représentations de la Vierge Marie, les femmes privilégient souvent la beauté de l’enfantement. Elles ont appris que si ce sacrifice qui s’accomplit au cœur du corps peut faire souffrir, il est pour celui qui s’y soumet avant tout un acte d’amour. Parmi les plus célèbres, on citera le travail de Kiki Smith ou Niki de Saint Phalle.