Sages et chercheurs tentent, depuis toujours, de comprendre l’infini. L’art donne forme à leurs images du Monde. Aujourd’hui encore, l’homme s’interroge. Face aux incertitudes de la science, il reconsidère la nature sacrée de l’univers.
A l’origine : un regard sacré ou profane
La science actuelle – la cosmologie dite physique, date notre univers de 13,7 milliards d’années. Elle nous démontre que le cosmos, à l’origine, fut créé par un Big-Bang. Pourtant, depuis des millénaires, les hommes portent sur la Création un autre regard. Chaque société se la représente à partir d’un récit fondateur sacré. Et, même s’il existe des milliers d’histoires de l’Origine, il est frappant de noter que des constantes demeurent. La formation du cosmos découle, en général, du passage de l’Un (Principe, origine de toute chose) au multiple (tout ce qui remplit l’espace et le temps). Le système organisé et harmonieux engendré s’oppose alors au Chaos originel. En 2011, Terrence Malick dans The Tree of Life nous conte, par de sublimes images, l’histoire de cette genèse. Dans certains cas, le cosmos sort directement du Principe ou d’un œuf primordial. D’autres fois, un dieu (architecte, forgeron, tisserand, potier ou charpentier) le modèle et lui insuffle la vie.
Un tel récit – une cosmogonie – donne à voir une image du Monde. Il se manifeste sous la forme d’un œuf en Perse et en Inde, d’une bulle d’air chez les égyptiens, d’une double pyramide chez les mayas et les aztèques… En Occident, les artistes représentent le cosmos tel une voûte céleste en forme de roue ou de cercle. Ils le symbolisent aussi, fréquemment, par un globe cristallin tenu par le Christ. Jusqu’au Moyen-Age, l’iconographie de la Création se réfère à la séparation biblique des éléments. Dieu y figure comme le grand architecte ordonnateur. Au 13ème siècle, on ajoute autour de la Terre des cercles concentriques qui portent les sept planètes et les étoiles. Un siècle plus tard, ces dernières se voient figurées par des signes zodiacaux.
Le cosmos et le sacré : une relation de transcendance ou d’immanence
Pour le croyant comme pour le philosophe, l’univers s’envisage donc dans un rapport avec un Principe sacré. Depuis Aristote, c’est la métaphysique qui nous amène à penser cette réalité absolue qui échappe à nos sens.
En Occident, il existe traditionnellement deux manières d’envisager la relation entre Dieu (ou les dieux) et le cosmos : la transcendance et l’immanence. Dans la tradition judéo-chrétienne, Dieu se trouve à l’extérieur de l’univers qu’il a créé. Transcendant, il se place hors de l’espace et du temps, tout en s’impliquant activement dans sa création. Cette vision théiste, communément admise, s’oppose pourtant radicalement aux croyances plus anciennes. Chez les grecs comme pour les peuples païens, le divin n’est ni supérieur ni extérieur au Monde ; il en fait partie. Au fil des siècles, cette idée d’immanence ne cesse de questionner de grands penseurs. Spinoza, en 1677, la théorise dans l’Ethique. Il définit son approche, selon laquelle « tout est Dieu », comme panthéiste. Ce « tout » s’entend chez lui, au sens de tout ce qui existe. Aujourd’hui encore, des philosophes connus comme Comte-Sponville (l’Esprit de l’athéisme) ou Onfray (Cosmos) en appellent à un retour à une divinité immanente, matérielle et concrète : un Dieu cosmique.
De nombreux sages ont également recherché une voie médiane qui n’oppose pas immanence et transcendance. Au 19ème siècle, Krause la qualifie de panenthéisme. En Occident, on considère que les hermétistes, les platoniciens, les néoplatoniciens, les gnostiques, les alchimistes ou les Rose-Croix – parmi d’autres – partagent cette vision. Dans la tradition hermétique, Dieu, tout en étant immanent dans l’univers matériel, le transcende également, puisqu’il existe aussi en dehors de lui. Contrairement au panthéisme, le principe spirituel ne s’entend donc pas comme une propriété inhérente à la matière ; il est une force qui existe en son cœur, tout en étant distinct. Des plans de réalité visibles et invisibles coexistent. Selon cette pensée, le cosmos n’est donc pas que matière ; il est animé par une force de nature spirituelle et régis selon des lois universelles.
L’univers par les sciences : une histoire sans fin
Les scientifiques cherchent aussi à comprendre l’univers. Depuis toujours, ils l’observent et élaborent des hypothèses. L’art documente leurs représentations du Monde visible qui ne cessent de changer.
L’astronomie est considérée comme la plus ancienne des sciences, même si l’on attribue l’approche scientifique du cosmos aux grecs. Pythagore établit sa première théorie mathématique selon le nombre d’or. Aristote et Ptolémée développent un modèle qui va durer plusieurs siècles. La Terre fixe s’y place au centre d’un univers fini, les autres planètes tournant autour. L’institution religieuse, toute puissante, réfute ce modèle qu’elle adopte, malgré tout, vers l’an mille. Dès le Moyen-Age, des artistes le représente sur des objets esthétiques luxueux en forme de sphère : les globes célestes. Ils représentent les astres visibles de la Terre. Au 16ème siècle, Copernic avance une nouvelle théorie qui porte un coup fatal à la représentation géocentrique de l’Eglise. Le soleil détrône la Terre de sa place centrale dans l’univers qui reste, malgré tout, fini et limité par une sphère d’étoiles. Un siècle plus tard, Galilée utilise la première lunette astronomique de l’histoire. Ses observations ‘’valident’’ la théorie héliocentrique du cosmos de Copernic. Les différents systèmes du Monde sont alors vivement discutés. L’art donne forme à ces représentations par des planches qui illustrent de somptueux atlas. Mais avec la pensée rationaliste de Descartes qui s’impose, la vision de la science l’emporte.
Au 20ème siècle, de nombreuses découvertes permettent de mettre à jour ce qui compose le cosmos (matière lumineuse, matière noire, énergie noire…). Avec la théorie de la relativité d’Einstein, il devient dynamique et actif. Des astrophysiciens développent l’idée d’un Monde composé d’univers parallèles. Ce multivers s’envisage de multiples façons (univers qui bifurquent de la physique quantique ; univers bulles d’un multivers qui serait inflationnaire ; univers formé de branes, issue de la théorie des cordes…). Ces avancées permettent d’élaborer, une fois encore, de nouvelles représentations. Dès les années 90, elles inspirent de nombreux cinéastes de science fiction. On citera des séries et des films comme Fringe, Sliders, Doctor Who ou Stargate SG-1.
Au 21ème siècle, de puissants télescopes spatiaux permettent aux astronomes d’observer un univers, toujours plus vaste (aujourd’hui estimé à 100 milliards de galaxies de milliards d’étoiles !). La photographie astronomique fige ces images d’un passé révolu depuis des millions d’années. L’art nous amène à voir toute la richesse et la beauté de ce qui compose le cosmos comme de l’ordre complexe qui le régit. Il transforme, une fois encore, notre regard sur l’infini.
L’infini des artistes : un espace sacré ou poétique
L’infini des artistes se construit donc dans un rapport avec la religion ou la science. Epousant de multiples formes, ses représentations ne cessent, pour autant, de laisser place à l’imaginaire.
Dans l’art sacré, les œuvres illustrent les grands récits. Elles enseignent le fidèle, souvent illettré, et l’aident à accomplir ses rituels. La représentation du cosmos n’est, en conséquence, pas physique ; elle amène à voir l’invisible : les hiérarchies célestes ou les panthéons de dieux qui peuplent les cieux. L’univers se divise en plans qui correspondent à la nature de leurs habitants. En Egypte ancienne, il y a la terre pour les vivants, le ciel pour les divinités et l’au-delà pour les défunts. On se fait peindre la carte de ce dernier dans son sarcophage afin, une fois mort, d’y retrouver son chemin. Pour les chrétiens, Dieu et les anges demeurent dans l’empyrée : un espace au-delà du domaine des éléments et des planètes. Au Moyen-Age, Pseudo-Denys l’Aéropagite dresse la carte de ce 3ème ciel et y place les hiérarchies célestes. Des livres à succès, comme La Légende Dorée de Jacques de Voragine ou La Divine Comédie de Dante Alighieri, rendent populaire cette image du Monde. Elle marquera toute l’histoire de l’art occidental.
Les plasticiens font également souvent référence aux sources qui éclairent le cosmos, la lumière demeurant, depuis toujours, un symbole central de spiritualité. Les astres célestes figurent dans des scènes bibliques (comète pour la nativité, éclipse, soleil et lune pour la crucifixion…). Ils illustrent le temps et la destinée supraterrestre de l’homme. Les primitifs italiens peignent des étoiles d’or sur des fonds bleus ; elles constellent les voûtes de nombreux édifices. Jusqu’au 19ème siècle, la nuit étoilée ne fait, en général par contre, que figure d’arrière-plan théologique. Par la suite, le paysage nocturne devient un genre à part entière qui témoigne d’une approche plus intime et mystique de l’infini (Whistler, Van Gogh, Munch, O’Keefe…).
Au 20ème siècle, les avancées scientifiques amènent à voir au-delà de la sphère céleste. Le cosmos devient un thème majeur pour l’art abstrait. Il inspire de grands peintres modernes (Kupka, Miro, Klee, Malevitch, Delaunay, Fontana, Matta…), des sculpteurs de mobiles (Rodtchenko, Calder, Duchamp…) et, certains contemporains (Klein, Vasarely, Turrel, Elliason, Veilhan, Morellet, Saraceno, Shingudes…). Traversé de lignes de forces, de couleurs et de lumière, l’infini se fait poétique. Les plasticiens (en particulier dans l’art lumino-cinétique) se détournent de la représentation réaliste de l’univers. Ils nous invitent à éprouver son rythme, la vibration de sa lumière ou la profondeur de son espace ; nous confrontant ainsi aux lois sacrées qui le régissent. Depuis quelques années, certains artistes s’interrogent, de même, sur la matière qui constitue le cosmos. Pour nous aider à percevoir sa substance, ils développent de poétiques dispositifs artificiels. On citera à titre d’exemples, des photographes comme Goudal (5ème corps), Elberg (Cosmogonie, Météorites…), Helg (Cosmos), Bosworth (The heavens), Corbasson (Stardust, Comet…) ou des plasticiens comme Beaurin (Oscelle) et Saraceno (Cosmic levitation, algo-t(h)/(y)thms, a thermodynamic imaginary).
Croiser les regards pour mieux percevoir
Dans notre société profane, l’homme se refuse à croire ce que la science ne peut prouver. Mais, en dépit des nombreuses avancées, l’incertitude gagne du terrain. L’univers reste, aujourd’hui encore, insaisissable. Notre perception de sa réalité demeure une interprétation toute personnelle et limitée. La phénoménologie d’Husserl, considérée comme une philosophie contemporaine majeure, tend, elle aussi, à nous le démontrer. Face à ce constat, d’humbles chercheurs s’aventurent sur d’autres voies. Dans les années 70, le philosophe Raymond Ruyer (La Gnose de Princeton) développe une théorie d’un univers non pas purement matérialiste mais spiritualiste. Emanant, selon l’auteur, d’un groupe de scientifiques, cette idée fait, dès lors, son chemin. On la retrouve chez le physicien Fritjof Capra (Le tao de la physique) et des astrophysiciens comme Jean-Emile Charon (L’Esprit, cet inconnu), Trinh Xuan Thuan (Désir d’infini, Vertige du cosmos) ou Aurélien Barrau. A défaut de croire, le monde scientifique change lentement de point de vue. S’émerveillant devant la beauté et l’harmonie du cosmos, il croise les regards pour mieux saisir l’ensemble des choses. Ce faisant, les chercheurs redécouvrent ce que les vieux sages savaient.