La rose demeure l’un des plus riches symboles du Monde chrétien. Dans l’Art, depuis toujours unie aux dieux, cette fleur de Sagesse révèle aux hommes un secret.
La rose, une fleur des dieux dans l’Antiquité
La rose, dans le cœur des hommes, occupe, aujourd’hui comme hier, une place à part. Si des fossiles attestent de sa présence sur terre depuis plus de 35 millions d’années, il semble que, d’origine perse, elle ne parvienne jusqu’en Occident que deux millénaires avant notre ère. Considérée de nature céleste, elle devient dès lors la fleur des dieux. Dans l’Antiquité, on ne cultive au départ que la rose blanche aux 5 pétales, connue sous le nom d’églantine. Cette fleur, utilisée lors de rituels funéraires chez les romains, protège et accompagne dans l’au-delà les défunts. En Egypte et en Grèce, elle orne les temples pendant les cérémonies aux Mystères ; tout candidat à l’initiation la porte pour se rappeler que son enseignement, reçu sous la rose (« sub rosa »), doit rester secret. Puis, la culture de roses se démocratise à des fins décoratives. Les roses apportent de la couleur et embaument les foyers tout autant que les fêtes et les banquets. Perçue comme la plus belle des fleurs, la rose est souvent symboliquement associée aux déesses antiques de l’amour, de la fertilité et de la Sagesse : à Athéna et Aphrodite chez les grecs ou Vénus chez les romains. Le mythe rapporte qu’un buisson épineux pousse dans l’écume de la mer qui donne naissance à la déesse de l’amour ; arrosé par le nectar des dieux, il se couvre de roses blanches. Chez les grecs, elle est également l’attribut d’Aurore, la « déesse aux doigts de roses » qui apporte chaque matin la Lumière aux hommes. De grands poètes grecs tels Homère, Hésiode ou Sappho glorifient la rose qui s’impose de même comme un puissant symbole pour exprimer la beauté de l’être aimé. Fleur du printemps, cette « rose d’Amour » se retrouve également unie aux dieux Bacchus et Dionysos, célébrés tout particulièrement lors des fêtes vouées à la renaissance de la nature. Avec eux, la rose qui invite aux excès passionnés de la chair devient un symbole de l’hédonisme. Des poètes tels Ovide ou Anacréon l’associent néanmoins parfois au lys pour rappeler symboliquement aux hommes que la beauté et l’amour élèvent si les instincts demeurent tempérés par la raison.
La rose, l’un des plus riches symboles chrétiens
Dans les premiers siècles du christianisme, en réaction au sens qui lui a été donné par les païens, la rose se retrouve mise à l’écart. Elle ne cesse néanmoins jamais d’être célébrée en Perse par les poètes et mystiques soufis (Sâadi, Khayyân, Roumi…). Les Pères de l’Eglise condamnent non pas la fleur, mais son usage, jugé impie. Certains, comme Clément d’Alexandrie, opposent symboliquement le port de la couronne de roses à la couronne d’épines portée par le Christ. Sa culture ne reprend véritablement en Occident qu’à l’époque carolingienne ; peut-être parce que Saint Benoit, considéré comme le père des moines d’Occident, réintroduit son usage au 6ème siècle. Il affirme n’avoir pour seule compagnie qu’un rosier. La légende raconte que pour résister à la tentation de la chair, ce moine se roule dans un buisson d’épines ; le sang versé épuise son corps et guérit son âme ; le buisson se transforme alors en rosier. Peu à peu, la rose refait ainsi son apparition dans les jardins privés tout autant que dans le langage sacré, jusqu’à devenir l’un des plus riches et puissants symboles du monde chrétien. Selon sa couleur (noire, rose, blanche, rouge, or), son nombre (seule, par 4, par 5,…) ou sa forme (en bouton, en bouquet, sur un rosier, une tige sans épines, une croix, avec un certain nombre de pétales…), la rose nous parle de la Vierge, du Christ, des élus ou bien encore de la voie christique du Salut. Aux 12ème et 13ème siècles, avec les croisades, de nombreuses variétés de roses, comme celle de Damas, sont ramenées de Terre Sainte. C’est à cette époque, en France, que la culture du rosier débute véritablement ; elle ne cesse de s’enrichir au fil des siècles, en particulier au 18ème avec l’introduction de rosiers en provenance d’Inde, de Chine et du Japon.
La rose, emblème du féminin sacré
Au 8ème siècle, la rose blanche devient l’emblème des saintes martyres, nombreuses à l’époque. Les chrétiens considèrent dès lors cette fleur comme un symbole de sainteté. Elle atteste d’une haute spiritualité et exprime les valeurs du féminin sacré : la pureté, l’amour tourné vers Dieu, la Sagesse. Longtemps, pour les fêtes célébrant ces femmes dénommées parfois « roses célestes », les fidèles recouvrent de pétales blancs les chemins de la procession. Au Moyen Age, alors qu’au sein de l’Eglise catholique se développe le culte marial, la rose s’impose naturellement comme l’attribut principal de celle qui incarne toutes ces vertus. Au 11ème siècle, Bernard de Clairvaux dresse un parallèle entre Eve et Marie. Il associe la première – celle par qui le péché et la souffrance arrivent – à une épine et la seconde – celle par qui les hommes peuvent réintégrer le jardin du paradis – à la rose. Un symbolisme propre à la reine des fleurs du jardin d’Eden s’élabore peu à peu pour glorifier la reine des hommes. Jusqu’au 18ème siècle la rose demeure omniprésente dans la représentation de la Vierge Marie.
On la nomme tout d’abord « la rose sans épine » ou comme dans les célèbres Litanies de Lorette, la « rose mystique » (ou « rosa mystica ») puisqu’ayant retrouvé sa virginité originelle, l’Immaculée Conception a enfanté un dieu. Au 13ème siècle, Saint Dominique met en place un rituel de dévotion pour la Vierge : le rosaire. Une guirlande de roses sert au départ au fidèle à la pratique de sa prière. Elle se voit peu à peu remplacée par un chapelet de perles. Dans l’art sacré, les artistes dépeignent souvent Marie au cœur d’un jardin clos avec des roses à l’image du paradis (l’hortus conclusus). Vierge à l’enfant, on la retrouve également parfois trônant devant un buisson de roses de couleur rose, blanche et rouge. Au 15ème siècle, les peintres rhénans plus que tout autres célèbrent cette scène de genre dénommée « Vierge à la roseraie » ou encore « Madone aux roses » ou « à la tonnelle » (Stefan Lochner, Martin Schongauer…). Pour la représentation de scènes de l’Assomption (la montée au ciel de la Vierge), des roses occupent traditionnellement le tombeau vide ; pour celle de son Couronnement, ces fleurs parfois la couronnent. Dans le monde médiéval, la Vierge figure de même comme le modèle à suivre pour la femme qui aspire avant tout, par la vertu, à sauver son âme. L’art profane dépeint souvent les dames de noble lignée dans leurs roseraies ou leurs jardins clos.
La rose, symbole de l’amour et d’union mariale
La rose redevient également un symbole d’amour et d’union qui s’envisage, contrairement au Monde antique, avant tout en relation à Dieu. Cette mystique nuptiale occupe une place de choix dans la spiritualité médiévale. Elle s’inspire du Cantique des Cantiques, un texte biblique interprété à l’époque comme un dialogue amoureux entre le bien aimé (identifié à Dieu) et celle qu’il aime, « la rose parmi les épines » (l’âme virginale ou la Vierge). Dès la fin du 11ème siècle, la rose occupe de même une place importante dans le symbolisme qui célèbre l’amour courtois. Cet art d’aimer – le fin’amor -, transmis par les troubadours, considère que l’amour permet d’anoblir le cœur, l’âme pouvant alors prétendre connaître l’amour en Dieu. L’élue – la Dame aux roses – incarne pour son chevalier un idéal de pureté, de beauté et de sagesse. Elle l’inspire et l’aide à passer les épreuves afin qu’il puisse enfin cueillir, comme dans le célèbre Roman de la rose de Lorris, la merveilleuse rose vermeille. Ainsi, dans l’art médiéval, la rose permet souvent d’exprimer le type de relation que le sujet entretient avec Dieu. Cueillir la rose atteste d’un désir de lui offrir son cœur ; la tenir précieusement à la main, témoigne d’une promesse échangée ou d’un dialogue intérieur avec lui ; portée en couronne, elle est signe d’union sacrée. La couronne de fleurs marque la victoire sur les passions ; elle consacre les élus à l’image de la Vierge, des anges ou des âmes du paradis. Aujourd’hui encore, la jeune fille pour sa première communion tout comme la mariée portent souvent des roses blanches et vermeilles en couronne. La rose demeure un symbole de pureté des sentiments tout comme d’engagement devant Dieu.
La rosace : rose de lumière, cœur sacré
La rosace, un élément architectural inspiré de la fenêtre circulaire de l’art roman, fait son apparition sur les cathédrales gothiques au 13ème siècle. On la nomme rota, rose des vents ou encore roue céleste ; le vitrail qui l’accompagne, la rose. A l’image de la fleur de vie dont la géométrie sacrée en spirale se déploie à partir du centre, la rosace amène à percevoir symboliquement une autre réalité : celle de l’homme qui s’anime à partir du cœur tout comme celle de l’univers en mouvement à partir d’un axe central et rayonnant (l’axis mundi). En ce centre se concentrent toutes les énergies. Cela permet de comprendre pourquoi, dans l’art sacré, on retrouve parfois une représentation du Christ – considéré comme cet axe du Monde – dans l’oculus central de la rose. Lorsqu’une Vierge à l’enfant se tient dans cet espace, l’image nous conte une autre histoire. Le symbolisme s’interprète non plus comme celui du centre ‘’animateur’’ mais comme celui du cœur, vase et matrice de renouveau. Telle l’Immaculée Conception, ce ‘’réceptacle’’ peut recevoir l’Esprit Saint fécondant. Dans l’iconographie catholique, à partir de la fin du Moyen Age, cœur et rose se retrouvent souvent associés. Si la rose peut symboliser le cœur de la Vierge tout autant que celui du Christ (le sacré-cœur), elle peut également témoigner de la présence de ce dernier dans le cœur humain. Une idée qu’illustre tout particulièrement le sceau de Luther chez les protestants. La rose du cœur se présente ainsi comme une matrice sacrée dans laquelle une transformation s’accomplit. Pour y parvenir, tout comme le vitrail de la rosace symboliquement le rappelle, elle doit se laisser transpercer et travailler par la Lumière dans un cycle continu.
La rose, une fleur de Sagesse
La rose initie aussi par sa couleur. La fleur symbolise alors une phase d’un processus de transformation. Dans la voie suivie par le Christ, elle s’accomplit au travers de grands mystères, une couleur particulière étant associée à chacun d’entre eux. La rose couleur chair témoigne de l’incarnation d’un dieu (la naissance de l’enfant Jésus) ; la blanche, de sa Transfiguration (qui montre aux disciples sa lumineuse nature divine) ; la rouge pourpre, de sa Passion (la Crucifixion). C’est pourquoi dans les représentations de Madone aux roses, on retrouve en général des roses de ces 3 couleurs. Une quatrième – la rose d’or – nous parle de sa Résurrection. L’or des sages, matière-lumière la plus pure, revêt toujours les élus. L’épine, pour sa part, renvoie symboliquement au péché qu’il faut s’ôter pour devenir « une rose pure sans épine ». Cette rose blanche, fixée sur la croix, se teinte alors en rouge car le rouge est la couleur du Feu, de l’amour divin comme du sang versé en sacrifice par Jésus. Ce qui explique que des roses rouges paraissent parfois sur la croix. Dans ce type de représentations dites ‘’croix aux roses’’, la rose au centre symbolise le cœur du Christ ; 4 roses, le plus souvent les plaies de ses pieds et de ses mains. A partir du 17ème siècle, de nombreux ordres rose-croix ou franc-maçonniques reprennent à leur compte ce symbolisme sur leurs emblèmes. La tradition hermétique utilise aussi les roses pour décrire les 3 phases de son Grand Œuvre alchimique : la rose noire – symbole de Vénus (rarement représentée dans l’Art), la rose blanche – Rosa Alba – et la rose rouge – Rosa Rubea. La fleur se présente en général jaillissant du vase alchimique ou du corps, parfois tel un rosier. L’or atteste une fois encore de la perfection de la matière ou de l’évolution spirituelle tout comme le pentagramme – l’étoile à 5 branches – ou la rose héraldique à 5 pétales.
La rose dans l’art profane : un symbolisme appauvri
Dans l’art profane, la rose ne cesse d’inspirer les peintres et les poètes. Son symbolisme reste invariablement associé à l’amour et la beauté de la femme ; souvent en référence au désir qu’elle suscite chez l’artiste. On pense aux poèmes de Ronsard au 16ème siècle, de Gautier au 19ème, à des œuvres de Boucher, Fantin-Latour ou encore Renoir et Monet au début du 20ème. Peu d’artistes se réfèrent par contre à son symbolisme floral dans un sens plus profond à part les préraphaélistes (Sir Burne-Jones, Rossetti, Waterhouse…), les symbolistes (Klimt, Denis, Hodler, Redon) ou les surréalistes (Magritte, Chagall, Dali) de même que certains auteurs de contes initiatiques tels Saint Exupéry (le Petit Prince) ou Carroll (Alice au pays des merveilles). Au 20ème siècle, souvent mentionnée au cinéma (rarement dans un sens clair), la rose est avant tout récupérée par les arts décoratifs pour sa beauté formelle et la publicité afin de vendre cosmétiques et parfums à la femme. Depuis quelques années, des photographes et plasticiens contemporains retrouvent néanmoins un attrait pour le genre dit ‘’nature morte’’. Certains utilisent de nouveau la rose tel un symbole. L’approche la plus fréquente demeure l’allégorie sexuelle (Quinn, La Chapelle, Haraki) ou sa critique par des artistes féministes (Bertlmann, Broker…). Elle témoigne également souvent d’un questionnement sur le passage du temps et la disparition ( Petry, Deeley, Gersht, Hodges, Gallacio…) ; parfois, tout comme chez Kupka, d’une réflexion sur les cycles naturels ou cosmiques (Steinkamp, Lisitsa & Schultz…). Son symbolisme sacré reste encore à redécouvrir même si certaines oeuvres l’effleurent sans le dire (Twombly, Othoniel…).
Symbole de l’amour, de la beauté, du renouveau, du cœur et de l’âme, la rose invite tout autant aux plaisirs charnels qu’aux unions célestes. Son symbolisme duel dépend de notre regard, ce que rappelle déjà la célèbre querelle des deux versions du Roman de la rose au 15ème siècle. Qu’il soit intime ou initiatique, un secret en la mystérieuse rose semble aujourd’hui encore bien enclos. Reste à chacun de le percevoir…